Elles se sont échappées de la toile, de l’océan ou des cieux. Allez savoir ! Mais dans l’église de Sainte-Madeleine à Châtelaillon-Plage, les courbes d’Amaury Dubois ont trouvé un espace à leur mesure. Double défi : pour le peintre, aguerri mais toujours dans la fraîcheur de sa passion intacte ; pour Jean-Louis Léonard, alors dans sa dernière mandature dans sa ville de toujours, Châtelaillon-Plage, et encore ému aujourd’hui, de cette rencontre entre le peintre et la petite église côtière et par cette œuvre depuis si longtemps rêvée, et maintenant là, bien réelle.
Amaury Dubois, un street artiste déterminé et talentueux
Il a travaillé sans relâche pendant plus de deux mois, juché sur des échafaudages à plusieurs mètres de hauteur, douze heures par jour et 7 jours sur 7, dans l’obscurité relative de l’église, juste éclairée par ses spots sur quelques mètres carrés. Il a accompli un travail de Titan, presque seul, et qui en dit long sur son sens du défi, sur cette passion tenace et sûre qui l’accompagne, sur sa capacité à tout donner.
L’église devait être prête pour la messe de Pâques. On appréciait cette joie, cette couleur, cette énergie pour une fête de la résurrection. Mais confinement oblige, la cérémonie religieuse a dû être ajournée. Heureusement, la fresque était terminée. Amaury avait tenu son engagement et transformé une petite église de bord de mer, en une œuvre inclassable, joyeuse, vibrante, hymne à la lumière, au sacré.
L’œuvre artistique d’Amaury Dubois : une église métamorphosée
Nous y sommes allés cet été. À ce moment-là la lumière et la chaleur de la petite cité balnéaire en Charente-Maritime étaient à leur paroxysme. La petite église, peinte à l’extérieur en jaune et bleu – couleurs de la commune – de style roman, mais bâtie au XIXème siècle avait un petit air coquet, sage, bien rangé. On y serait presque rentrés par hasard. Juste par curiosité, pour fuir la chaleur du soleil au zénith. Pourtant, ce modeste édifice religieux était bien le but de notre voyage.
Après quelques atermoiements (l’église était fermée en dehors des heures des offices) et grâce à la gentillesse de Clémentine, chargée de communication de la ville, nous avons pu découvrir l’œuvre d’Amaury Dubois. Une œuvre en lien étroit avec le lieu chargé de symboles, de prières, de foi ; une œuvre créant le lien entre le profane et le sacré ; une œuvre rendant justice aux éléments intimement liés à ce petit bourg côtier : le ciel et la mer.
Un projet artistique d’envergure
Vous avez un message
« La magie de ce métier, c’est de se lever un matin, et de trouver un message qui vous propose un projet comme ça : peindre une église », s’émerveille Amaury. « Très peu d’artistes contemporains ont eu cette chance. » Anne Boissey, l’architecte du projet, l’a contacté. « Pour mon travail sur la lumière, les couleurs, en phase avec les attentes pour ce projet. Je ne la connaissais pas personnellement », s’étonne-t-il encore. Il s’y met quasiment dans la foulée. Une fois la maquette réalisée, il l’envoie et n’y pense plus vraiment. « Participer en soi, c’était déjà génial, je ne me suis pas dit que je serai choisi », se rappelle-t-il.
On s’enthousiasme côté mairie, à réception de la maquette. La proposition a conquis Jean-Louis Léonard, maire de la ville, initiateur de la consultation et porteur du projet. « Il a tout compris. Il a saisi, respecté la symbolique du lieu. C’était exactement cela. Cette gradation entre le profane et le sacré, entre l’obscurité et la lumière. Cette intelligence de la couleur, cet art non figuratif qui laisse place au sens. Ce premier projet était déjà le bon. Il y a eu très peu de changements apportés par la suite. » Porté devant le conseil municipal – l’église est devenue un bâtiment communal en 1999 – puis devant le conseil paroissial, le projet emporte également la quasi-unanimité.
Les voûtes de l’église, une fresque titanesque
« C’est seulement lors du second rendez-vous – sur place cette fois-ci, que je comprends que le projet verra vraiment le jour », avoue l’artiste. « C’est le mur de la réalité qui s’impose à moi. Le travail sera titanesque. » De fait, avec ses 600 m² de voûtes, l’église offre un « terrain de jeu » impressionnant. Ce sera la plus grande fresque réalisée dans une église en France. Et c’est seul – ou presque, il ne sera en effet aidé qu’une dizaine de jours pour le remplissage du dégradé – qu’Amaury Dubois va gravir son « Himalaya » à lui. Quand on lui demande pourquoi, il répond : sens du défi, passion, besoin de se vouer entièrement à un projet. Il s’immerge dans la réalisation, juste muni de 5 pinceaux et de ses bombes aérosol. Une réalisation qui va bouleverser son rapport à l’art.
Quand je peins un tableau, c’est moi qui maîtrise la toile. Le tableau est mon outil, mon prolongement. Là, dans cette église, c’est moi qui suis devenu l’outil de l’œuvre. Parfois, je me sentais presque en transe, guidé par plus grand que moi.
Amaury Dubois
Le peintre à l’œuvre
Une fresque de street art couronnée de succès
Un marathon de deux mois et demi, qui ne verront que deux interruptions de deux jours – pour se ressourcer en famille. 80 jours environ, de 10 à 12 heures chacun – entre 800 et 1 000 heures de travail. Une prouesse physique et une réussite technique. C’est une véritable performance de peindre à plusieurs mètres de hauteur, bras tendu en permanence. Il a fallu régler le problème d’unité dans un décor rythmé par les arcs plein cintre, et donc, aligner les décors des trois voûtes. Ainsi, la fresque fonctionne quel que soit l’angle de vue.
Si le début est excitant, la traversée du désert au mi-temps du projet ne se fait pas attendre –, le manque de lumière du jour, la fatigue, le sentiment de ne pas voir le bout puis enfin, bien qu’épuisé, viendra un sentiment d’accomplissement. « Avoir réalisé cette fresque dans une église est exceptionnel dans la carrière d’un artiste contemporain. Je me dis, j’ai quarante ans, je l’ai fait, je suis heureux. »
La fresque suscite un vif engouement entre mouvement, énergie, couleur, lumière mais aussi capacité à sublimer le lieu et à mettre en valeur les superbes vitraux du chœur, à apporter du sens, à intégrer la symbolique sacrée. De presque tous : des fidèles, des touristes, des habitants de la commune, des amateurs d’art, de tous ceux qui, comme moi, suivent de longue date, Amaury artiste du Nord, saisissant de simplicité dans la relation, humble, chaleureux et joyeux. Cerise sur le gâteau, à l’occasion de cette fresque, Amaury a bénéficié d’une extraordinaire couverture presse internationale ! Chapeau l’artiste.
Un artiste contemporain au talent incontesté
Le courbisme, penser la vie en mouvement
Dans ses peintures aussi, sa courbe devient son fil conducteur, un lien invisible entre ses styles, repérable sur chacune de ses œuvres, le symbole de la vie en perpétuelle évolution, mue d’éternelles transformations. Puisque rien n’est rectiligne, il peint la puissance de la vie et ses mystères avec un trait de peinture franc qu’il baptise “courbisme”. La multiplication des univers et l’interprétation du monde par le prisme des couleurs soulignent un art réinventé, une façon de vaincre l’ennui et de triompher sur la morosité du quotidien.
Une oeuvre plurielle, à l’imagination sans limite
Lui qui refuse de rentrer dans des cases se définit avant tout par sa passion pour l’art et les couleurs. Partout dans le monde, ses peintures à l’huile, à l’acrylique, à l’aérosol, ses photographies et ses techniques diverses sollicitent les sens et l’imaginaire. Souvent puisée dans les détails de son environnement, l’inspiration de l’artiste célèbre la beauté de ce qui nous environne.
Église Sainte-Madeleine de Châtelaillon, histoire d’une construction et d’une rénovation
1882 - Une chapelle pour une station de bord de mer
Au XIXème siècle, des « promoteurs locaux » – propriétaires terriens de la région, emmenés par Gabriel Fauconnier – décident de créer ex-nihilo une petite station balnéaire à quelques encablures de La Rochelle. Châtelaillon-Plage (alors nommée Châtel-Aillon) voit le jour en 1883 sur les champs, face à la mer. De ses deux premiers bâtiments, l’un sera consacré au spirituel ; la chapelle Sainte-Madeleine ; l’autre au temporel, les halls couvertes du marché. Autour, la ville nouvelle peut alors se construire.
Inspiration romane
La chapelle a été bâtie selon les principes des édifices religieux des XIIIème et XIVème siècle : on entre à l’ouest – du côté du soleil couchant qui symbolise l’obscurité, le profane, et on progresse vers le chœur à l’est, là où le soleil se lève, symbole de lumière. De nombreux points architecturaux tels que les piliers massifs ou arcs de plein cintre s’inspirent directement de l’art roman.
Changement de propriétaire et agrandissement
Alors privée, l’évêché reprend finalement l’église. C’est alors, que l’abside – en demi-cercle – qui termine le chœur sera construite (1906). Suite au développement de la petite cité balnéaire, les nefs latérales sont construites en 1926 et en 1933. Les vitraux seront réalisés en 1950 mais en 1990, l’église est en mauvais état. L’évêché est alors contraint de la céder à la commune, en contrepartie d’une assurance de remise en état des lieux.
Une rénovation qui prend son temps
En 2001, la commune lance le début des travaux. On reconstruit le campanile, les voûtes et la tribune qui s’étaient depuis lors effondrées à l’occasion de la tempête de 1999. Pour l’intérieur, l’urgence de la rénovation est moins prégnante. Elle sera donc remise à l’ordre du jour en 2019. Maire depuis plusieurs décennies, Jean-Louis Léonard a décidé de passer bientôt la main. Mais avant, il lui reste un dernier projet qu’il souhaite mener à bien : la rénovation intérieure de l’église.
Bien sûr, le sol est refait à neuf avec un superbe dallage en pierre naturelle et granit noir du Zimbabwe. Les menuiseries sont rénovées ainsi que 14 tableaux et les vitraux sont mis en valeur. Mais en souhaitant renouer avec la tradition des églises peintes, le maire se mu d’une belle inspiration. On connait alors la suite. Il choisit le nordiste Amaury Dubois qui réalise la plus grande fresque de France. L’éclairage, qui est ensuite installé, vient magnifier ce superbe travail.