Il nous protège et nous ressource. Son décor illustre nos goûts et raconte nos souvenirs. Ses murs protègent nos secrets et partagent notre vécu. Notre habitat révèle notre personnalité, sans jamais la travestir. Si le confinement a bouleversé notre manière de vivre au quotidien, il a surtout permis de mesurer combien notre intérieur est essentiel à notre équilibre. Dans ce contexte, réinventer nos espaces de vie pour répondre à tous les besoins de la maison est devenu une priorité. Quatre architectes de la région nous dévoilent leurs conseils. Décryptage.
Par Lina Tchalabi
Le rangement, source de bien-être intérieur
“Le confinement a permis de revoir notre manière de vivre et de travailler aussi. En ces circonstances exceptionnelles, nombreux sont ceux à avoir constaté que leur intérieur n’était pas optimisé. Or, la situation a poussé la plupart d’entre nous à rester confinés, faisant de notre lieu de vie, notre seul refuge”, explique Tiphaine Lesaffre, architecte d’intérieur chez Kieken Immobilier Construction (KIC).
Dans ce périmètre d’intimité, chacun exprime à sa manière son univers personnel à mesure qu’il évolue, en fonction de ce qui marque son existence. Comme les pages d’un journal intime qui se remplissent au fil du temps. Ou la toile d’un peintre où s’exposent ses sentiments. Terrain d’expressions et d’expériences, l’intérieur se dévoile à coeur ouvert, libérant nos émotions.
“Notre lieu de vie influence considérablement notre bien-être. Il agit, en quelque sorte, comme une seconde peau”, poursuit l’architecte. Pourvu que celle-ci soit protectrice. “Car plus l’intérieur sera harmonieux, plus il contribuera à l’épanouissement de ses occupants.” S’il n’y a pas de recette magique à proprement parler, il existe néanmoins plusieurs clés fondamentales pour créer cette douce alchimie entre couleurs, matières et volumes. Le feng shui – art ancestral chinois qui vise à optimiser les flux énergétiques et à créer des espaces zen –, répond à ce juste équilibre entre le Yin et le Yang. “Il permet d’atteindre ce fameuxépanouissement au sein de l’espace dans lequel nous évoluons.”
L’art de la simplicité
“Pour beaucoup, le confinement a été l’occasion de faire un vrai ménage de printemps”, constate Tiphaine Lesaffre. Le point de départ ? Faire le tri de ses papiers administratifs, ranger sa cuisine ou son dressing, se débarrasser du superflu afin de se concentrer sur l’essentiel. Pour la jeune femme, il s’agit d’appliquer la philosophie du Lagom : “ni trop, ni trop peu”, c’est-à-dire juste ce qu’il faut. Un concept suédois qui repose sur l’équilibre et la modération. “Il ne faut pas surcharger l’espace mais épurer au maximum pour permettre un repos visuel, tout en gardant à portée l’essentiel du quotidien”, précise l’architecte.
Place à la simplicité donc, mais aussi à la douceur. “Pour un apaisement général, je préconise les tons neutres, beiges ou gris. Les couleurs vives ne sont pas à exclure mais plutôt à réserver par ponctuation sur des petits éléments comme les coussins ou les plaids dans le séjour”, poursuit-elle.
L’harmonie du beau et de l’utile
Pour Camille Delerue, architecte d’intérieur et décoratrice, même son de cloche. “Il est indispensable de ranger son intérieur pour y voir plus clair. Y compris les meubles que l’on conserve parce qu’ils appartenaient aux grands-parents mais qui n’ont pas pour autant d’utilité.” Faut-il alors se contenter uniquement du nécessaire en se séparant de tout ce qui encombre, à l’instar des préceptes de Marie Kondo, auteure du livre La magie du rangement ?
“C’est surtout que le trop-plein de mobilier empêche de disposer d’un espace épuré, en plus d’obstruer le regard et l’esprit”, appuie-t-elle. L’objectif ? Gagner de la place et donner l’illusion d’un nouvel intérieur. “Plus l’espace est optimal, plus la circulation dans la maison sera fluide.” Comment ? En optimisant tous les recoins avec des organisations astucieuses, pratiques et bien pensées. Comme ce fameux espace libre sous l’escalier où l’on peut, par exemple, y aménager un bureau, un dressing ou des placards de rangement.
Des espaces de vie flexibles et polyvalents
Pour éviter au maximum les contacts et limiter ainsi la propagation du coronavirus, les entreprises favorisent de plus en plus le recours au télétravail. Mais cette routine nécessite cependant quelques aménagements. En effet, travailler chez soi n’est pas toujours chose aisée, notamment en présence des enfants. Alors, comment s’acclimater à ce rythme et ce nouvel environnement ? Comment faire en sorte que chacun puisse trouver son espace et évoluer au sein de la maison ? Comment créer des espaces intimes, à la fois propices à la détente et au travail ? “S’il est vrai qu’on ne peut réinventer son intérieur d’un coup de baguette magique, on peut néanmoins redéfinir les espaces pour y créer des nouvelles fonctionnalités dans ces mêmes espaces afin de répondre à tous les besoins, y compris ceux des enfants”, avance Tiphaine Lesaffre. “Toutefois, il faut faire attention à la circulation. Celle-ci doit être fluide et optimale pour se déplacer agréablement et éviter de se marcher les uns sur les autres.”
Délimiter les espaces intelligemment
Lorsque la superficie de la maison ne permet pas de transformer complètement une nouvelle pièce pour travailler, il convient alors d’aménager un espace dédié afin de pouvoir s’isoler au calme. “Aussi bien pour favoriser la concentration et la productivité des parents que pour éviter de déranger les enfants”, souligne l’architecte. Exit donc le canapé qui n’incite pas à la concentration mais invite plutôt à la distraction. “Pour autant, dans le séjour, on peut créer une cloison séparative pour délimiter l’espace de travail, tout en gardant un lien de proximité avec les enfants.”
Vitrée, pleine, coulissante ou en accordéon, avec ou sans soubassement… sur le marché, il existe de nombreuses solutions de cloisons amovibles, chacune possédant des atouts différents. Les verrières d’intérieur ont toujours la cote. Outre leur aspect pratique et esthétique, ces parois ont l’avantage de laisser passer la lumière et de filtrer les nuisances sonores et odeurs de cuisson. Et pour les plus réticents à faire des gros travaux : “on peut également fabriquer une cloison ajourée en tasseaux de bois verticaux. En plus de sa note graphique, ce claustra est très apprécié pour cloisonner avec légèreté, délimiter une zone, tout en laissant la lumière naturelle pénétrer et sans empêcher la communication”, propose Camille Delerue.
Aménager un coin bureau inspirant et stimulant
Parce que le cadre de travail doit être propice à la réflexion et à la concentration, la décoration ne doit pas être en reste. Pour celles et ceux qui ont pour habitude de disposer d’un bureau ordonné et rangé, le style minimaliste conviendra davantage. “Je conseille d’allier des matières naturelles, comme le bois et le végétal, pour insuffler un esprit de légèreté”, confie Camille Delerue. “Côté couleurs, on peut miser sur du vert pour apporter un réconfort, du bleu pour stimuler la créativité ou quelques touches toniques pour égayer.” Pour Marine Valdelièvre, architecte d’intérieur et designer, il ne faut pas lésiner sur les plantes vertes. “Comme les couleurs, la nature a un impact psychologique sur notre état d’esprit et nos émotions. Mais ce qu’il faut retenir avant tout, c’est de se sentir bien dans cet environnement.”
Cultiver l’échange et l’émulation
Le constat est sans appel. Selon une étude réalisée par l’Ifop pour BNP Paribas Real Estate, “56% des actifs interrogés assurent être tout aussi efficaces qu’ils soient en télétravail ou qu’ils exercent leur activité sur site. Plus de huit actifs sur dix sont même favorables au développement de la pratique du télétravail (83%)”. Mais pour certains, travailler à domicile signifie parfois devoir s’isoler, avec le risque de ne jamais vraiment décrocher. Ainsi, répartir intelligemment les fonctions des espaces est primordial pour respecter un certain équilibre dans l’habitat, notamment pour les enfants, les grands oubliés du confinement.
“Plutôt que de laisser tout au long de la journée les plus jeunes d’entre eux dans leur chambre, pourquoi ne pas leur concevoir un endroit spécifique comme un repaire, un filet suspendu, ou encore une cabane au milieu du salon ou du jardin”, argue Tiphaine Lesaffre. Ce cocon devient ainsi l’occasion pour l’enfant de s’amuser et laisser libre cours à son imagination, en dehors de sa chambre – habituellement assimilée aux devoirs. Mais quid du lien familial ? “Pour entretenir le contact et éviter que chacun ne soit isolé dans sa bulle, il faut recréer des lieux d’échanges et de divertissement où se retrouver”, poursuit-elle. Jeux de société coopératifs, activités ludiques, créatives ou manuelles, ateliers musicaux… il existe pléthore loisirs à partager en famille. Sans oublier la cuisine qui reste – ne l’oublions pas – la pièce conviviale par excellence.
L’esthétique au service du fonctionnel
“Une maison est une machine à habiter”, écrivait Le Corbusier en 1923. À cette époque, toutes les pièces avaient une fonction. Si son héritage a quelque peu été controversé, aujourd’hui, la notion d’usage n’a jamais été aussi importante. Et pour cause : l’expérience du confinement a surtout permis de revoir les principes fondamentaux de l’aménagement.
“Certains clients y ont vu comme une formidable source d’opportunités de réaménager leur cocon selon l’usage qu’ils en font et leur mode de vie”, constate Marine Valdelièvre. Pour cette passionnée de métier, un projet ne peut se résumer par une simple histoire d’esthétisme. “L’un de mes jobs, c’est de faire émerger le besoin. Souvent, on a envie de changer de cuisine par goût, négligeant parfois l’aspect ergonomique”, souligne-t-elle. “Or, on se rend compte de l’importance d’avoir un produit qui allie praticité et fonctionnalité.”
Jouer la carte de la modularité
Pour Antoine Lejeune, le mobilier tient une place importante. “Il a un véritable rôle à jouer dans l’agencement d’un intérieur.” Alors, comment disposer ses meubles ? Pour quels usages ? La bibliothèque peut-elle aussi servir de bureau ? L’îlot central de la cuisine comme table de repas ? “Avant toute chose, il faut savoir qu’un projet ne doit pas nécessairement rester figé. Il m’arrive de faire quelques réajustements sur chantiers parce qu’il faut toujours garder en tête les besoins des familles et surtout ceux qu’ils pourraient avoir à l’avenir.”
La plupart des professionnels interrogés s’accordent à dire qu’un intérieur reflète notre identité. Il doit aussi s’adapter à nos envies et répondre à nos besoins changeants. Un seul mot d’ordre : la modularité ! “À Lille, un de nos clients souhaitait disposer, dans son appartement, d’un bureau sans avoir à aménager une pièce dédiée. Nous avons créé un meuble modulable avec d’un côté, des colonnes pour ranger ce dont il a besoin, et de l’autre une partie plate pour faire office de bureau. Résultat, lorsqu’il a terminé de travailler, il peut rabattre le plateau et le bureau devient ainsi un objet décoratif, dissimulé dans la pièce de vie.” Un bel exemple de conception où l’esthétique sert la fonction.
Exploiter l’existant
Séparer les espaces sans les cloisonner complètement, tel est l’enjeu auquel de nombreux propriétaires doivent répondre. “Le confinement a mis la population devant le fait accompli”, souligne Antoine Lejeune. “Mais le risque, ce serait de réaliser des travaux de manière urgente. Il faut faire attention aux projets incohérents”, prévient-il. Pour le professionnel, il s’agit d’abord d’exploiter l’existant. “À Douai, un couple souhaitait agrandir sa maison pour accueillir un espace de travail à la fois isolé mais transparent pour garder un oeil sur les enfants”, explique l’architecte. “Je leur ai proposé d’exploiter une partie du sous-sol sous la terrasse. Aujourd’hui, ils sont ravis d’avoir un endroit à l’abri du bruit, tout en profitant de la baie vitrée pour s’évader vers le jardin et surveiller leur progéniture.”